samedi 25 décembre 2010

Noël

Depuis quelques jours, je travaille sur la traduction  de Harmur englanna de Jón Kalman Stefánsson. C'est la suite d'Entre ciel et terre, et c'est aussi beau.  

 Parfois, la littérature contamine le réel, voilà qui plairait à plus d'un Islandais de ma connaissance. Quelque part, un homme écrit un livre envahi par la neige, un autre homme le traduit dans un autre pays et subitement, il se met à neiger là où, habituellement, il ne neige pas.

mercredi 8 décembre 2010

Noir Océan de Stefán Máni



Noir Océan (Skipið) de Stefán Máni, publié dans la Série Noire chez Gallimard a été sélectionné parmi les 20 meilleurs romans de l'année par le magazine LIRE.

Noir Océan, par Stefán Mani.
La page ci-dessus comporte également des liens vers deux critiques :

Sur l'Atlantique avec Stefán Máni.

Noir Océan, par Stefán Máni

mercredi 1 décembre 2010

Le blog de Martine Laval

Le texte de mon intervention à l'ambassade d'Islande est maintenant sur le blog de Martine Laval, journaliste à Télérama : Lectures buissonnières. Merci à elle!

dimanche 28 novembre 2010

Emission de France 3 Basse-Normandie sur le Festival des Boréales

Les Boréales à en perdre le Nord.

Reportages et interviews (littérature, musique, danse, etc.) sur le festival des Boréales dont la 19ème édition vient de s'achever...

En cours : correction de copies - la routine ! - rédaction d'un article sur la langue islandaise pour le Magazine Littéraire et relecture des épreuves finales du prochain livre de Sjón, De tes yeux, tu me vis, à paraître chez Rivages en février-mars 2011, je ne me priverai pas pour en dire quelques mots ici, le moment venu.
Pour l'heure, Mozart me transporte avec ses Noces et sa Flûte dans les versions de René Jacobs... et j'ouvre par moments au hasard René Char qui est, lui aussi, une excellente compagnie en ce dimanche glacial. Il est urgent de lire cet homme qui confiait être "pressé d'écrire". 

jeudi 25 novembre 2010

Transformer sans déformer

Le texte qui suit est la transcription de mon intervention intitulée "Transformer sans déformer" à l'ambassade d'Islande, le samedi 21 novembre 2010. 

"Que font les traducteurs ? Leur travail consiste à réécrire, le plus souvent dans leur langue maternelle, une œuvre qu’un auteur a conçue dans une langue étrangère. Formulée ainsi, la chose paraît extrêmement simple. Au risque de décevoir bien des gens, un traducteur n’est toutefois pas un écrivain ; les textes qu’il recréée, qu’il réécrit ne sont pas nés de son imaginaire et pourtant, il passe une bonne partie de sa vie plongé dans un paradoxe : il assemble des mots qui sont exclusivement les siens et, dans le même temps, appartiennent tout aussi exclusivement à un autre… Il est l’ombre de cet autre, une ombre qui s’efforce de transférer une œuvre rédigée dans une autre langue, un texte produit dans un univers mental et culturel spécifique et qui, s’il ne le traduisait pas, resterait inaccessible à un large public.

Il n’est pas étonnant que, dans de telles conditions, l’activité du traducteur soit souvent perçue comme très utile. Aussi importante que suspecte. Un homme d’expérience pour lequel j’ai autant d’affection que d’admiration m’a un jour mis en garde : Il y a du vice dans la traduction, fiston, m’a-t-il averti. Du vice… Voulait-il parler peut-être d’une forme spéciale de masochisme développée par les traducteurs ou renvoyait-il à la formule du traducteur trahissant Traduttore tradittore qu’on prête aux Italiens ? En effet, quelle confiance peut-on accorder à des gens qui passent leur temps à écrire sans réellement le faire ? A des individus qui s’adonnent assidûment à une activité alors qu’en réalité, ils ne font rien d’autre, ou presque, que de répéter quasiment la même chose que ce qu’un autre a déjà dit. Serions-nous dans une version modernisée des habits neufs de l’empereur où les métiers à tisser auraient été remplacés par les ordinateurs ? Ou peut-être tenons-nous ici la solution définitive du « Je est un autre » ? Les traducteurs possèdent-ils également, tant qu’on y est, le don d’invisibilité ? Précisément, la plus précieuse louange qu’on puisse leur adresser est celle qui consiste à leur dire que leur texte semble avoir été rédigé directement dans la langue cible, sans intermédiaire. « Votre traduction est très belle, on ne voit pas du tout votre travail ! » Eh bien, merci pour ce compliment bien tourné, madame, monsieur ! Pour un peu, on se demanderait si on ne s’est pas en plus perdu entre les pages d’Alice au pays des merveilles : Do cats eat bats or do bats eat cats ? 

A propos, comment traduiriez-vous cette simple phrase de l’anglais vers le français ? Je vous propose : Les chats mangent-ils les chauves-souris ou les chauves-souris mangent-elles les chats ? Mais, me direz-vous, cette citation de Lewis Caroll ne signifie rien, c’est un Anglais et les Anglais sont les Anglais, n’est-ce pas ? La traduction que je propose ici est tout à fait exacte par rapport à l’original : elle ne signifie rien en français non plus ; pour un peu, on serait tenté d’ajouter une note de bas de page stipulant que c’est de l’humour anglais, synonyme d’hermétisme et le tour serait joué. Mais voilà, que fait-on de la répétition des quasi-homophones : cats et bats ? Et la « fonction poétique du langage » alors, que lui est-il arrivé ? Nous n’allons quand même pas lui tordre le cou : voilà pourquoi la proposition que je viens d’avancer n’était pas honnête. Vous voyez, je ne suis pas traducteur pour rien ! Le défaut majeur de la version française est qu’elle ne respecte pas l’esprit de l’original. Je lui préférerais nettement la formulation suivante : « Sont-ce les chats qui mangent les rats ou les rats qui mangent les chats ? » ou encore « Les chats mangent-ils les rats ou les rats mangent-ils les chats ? » Cette version-là contient certes un contresens majeur sur le terme « bat », lequel n’est pas équivalent de « rat » en anglais et pourtant, elle me semble nettement meilleure que la première car elle ne trahit pas l’esprit d’Alice au pays des merveilles. Jusqu’à quel point peut-on ou doit-on trahir pour rester fidèle ? Jusqu’à quel point la fidélité peut-elle être trahison ? Hvenær drepur maður mann og hvenær ekki (1)?

Justement, allons un peu en Islande, c’est un pays intéressant où il n’y a pas que des glaciers, des geysers, des crises bancaires et des volcans farceurs. On y arrive la plupart du temps en avion quand ces volcans aux noms imprononçables ne font pas des leurs et, si l’on a la chance d’y atterrir finalement, on lira dans le long couloir vitré qui donne sur les champs de lave pluvieux et mélancoliques, parmi les publicités diverses, les deux inscriptions suivantes : Velkomin heim et Welcome to Iceland. A propos, comment dit-on Iceland en islandais ?  Euh… heim ? Sans doute et surtout, sans majuscule. Etonnant, non ? Je vous l’accorde. Le problème est que le mot heim renvoie dans bien des contextes à autre chose qu’à l’Islande, mais que, dans le cas présent, il ne peut désigner autre chose que, précisément, l’Islande. Cela ne vous rappellerait-il pas quelque chose ? Eh oui, nous revoilà chez Alice. Si on traduisait l’expression mot à mot en anglais, on aurait : Welcome home, Bienvenue à la maison, Bienvenue au pays : de quoi décevoir plus d’un touriste en mal de dépaysement…  Non, les autorités de l’aéroport de Keflavík n’ont pas commis une grossière erreur de traduction, Velkomin Heim signifie Bienvenue en Islande, Welcome to Iceland, mais l’inscription en islandais s’adresse aux Islandais et leur souhaite simplement un bon retour au pays. Ce petit exemple pose assez bien, me semble-t-il, le problème de la nécessaire mise en contexte de toute traduction en même temps que celui de l’adaptation. Chaque langue fonctionne en vertu de contraintes et de règles précises, celles du français ne sont pas identiques à celles de l’islandais, j’ai l’impression d’enfoncer une porte ouverte en le disant. 
Par exemple, le français supporte très mal la répétition, laquelle n’est nullement rédhibitoire en islandais. Il est fréquent que, dans les dialogues, un auteur se contente de recourir aux verbes « segja, svara et spyrja, dire, répondre et demander ».  La chose est tout simplement inenvisageable en français où l’on utilisera des verbes aussi variés qu’interroger, répliquer, rétorquer, renchérir, glisser, interrompre, couper, murmurer, marmonner, grommeler, regretter, crier, s’écrier, s’époumoner, hurler, s’exclamer, s’esclaffer… en fonction du ton, de la situation ou de l’expression du locuteur.  Ce n’est pas que l’islandais manque de vocabulaire. Il suffit de s’intéresser à la neige pour laquelle il existe quantité de termes. Ici, les Islandais ne se contentent pas de vagues approximations, pour des raisons qu’on saisira facilement. Dans un pays où l’on peut se retrouver bloqué par une tempête plusieurs jours de suite et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il convient que la langue soit précise. On a donc snjór, skafrenningur, krapi, slydda, hríð, fönn, mjöll, föl, stórhríð, neðanbylur, skafl etc. Afin de transférer ces termes en français, on ne peut que recourir à diverses périphrases. La phrase : Föl var á jörðu deviendra donc Un fin voile de neige recouvrait la terre, et je n’affirme pas que ce soit LA traduction, mais seulement UNE version possible, un essai, une proposition. 
Il convient en effet de souligner qu’il n’existe pas de traduction qui soit à la fois de bonne qualité littéraire et parfaitement exacte. Ce que ce qui compte le plus, c’est le respect de l’esprit d’un texte ainsi que de la culture qui l’a engendré et non de la lettre : il existe de belles, de très belles et très poétiques traductions qui parviennent à rendre l’atmosphère d’une œuvre, mais le lecteur doit se garder de croire qu’il lit exactement le même texte que celui écrit par l’auteur : ce ne sont pas les mêmes mots, le même rythme, les mêmes sons, la même musique, les mêmes jeux de langage : ce n’est pas la même langue.  On assiste toujours à une certaine déperdition en ce qui concerne les réseaux de sens, le phrasé et le rythme qu’il convient de tenter de reconstruire. Parfois, à l’inverse, certains passages d’une traduction dépassent en qualité loeuvre originale. Par exemple, cest le cas de celle que le pasteur Jón Þorláksson a faite du Paradis Perdu de Milton comme le précise Jón Kalman Stefánsson dans Entre ciel et terre (2).

J’ajouterai que, lisant le même livre, aucun lecteur ne lit jamais la même œuvre que son voisin, chaque lecteur, tout comme le traducteur, interprète le texte à travers le prisme de sa sensibilité, il se projette ou pas, s’attache parfois à des points auxquels ni l’auteur ni le traducteur n’ont accordé autant d’importance et, inversement, en ignore d’autres, capitaux pour l’auteur ou qui ont demandé un important travail de recherche lexicale au traducteur. Il ne faut pas non plus oublier que le traducteur est pris entre le marteau et l’enclume : sachant que le résultat ne sera jamais entièrement à la hauteur de ses attentes ou de ses désirs, il tente d’adapter le texte source sans le détruire ni le défigurer totalement et s’efforce de le fondre dans les usages de sa propre langue avec laquelle il négocie sans cesse, sa propre langue dont il arrive qu’il doive repousser, sans trop la malmener, les limites grammaticales et sémantiques. Parallèlement, il doit souvent procéder à quelques adaptations d’ordre culturel et n’a pas vraiment d’autre choix que de trahir parfois un peu la lettre afin de demeurer fidèle à l’esprit. Je n’affirme évidemment pas qu’il faille aller jusqu’à traduire hákarl et brennivín (3) par foie gras et cognac ou encore escargots et calvados sous prétexte que les premiers termes renvoient à une réalité typiquement islandaise et les derniers à la cuisine française, laquelle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, et fait évidemment partie intégrante de la culture française. Ce serait tout de même aller un peu loin dans l’adaptation. Le traducteur doit s’attacher à transformer et à transférer sans trop déformer : en réalité, il ne dit pas la même chose, mais presque. Ce n’est certes qu’un presque, mais comme l’affirme Jón Kalman Stefánsson dès le début d’Entre ciel et terre quand il dit « Nous sommes presque uniquement constitués de ténèbres », c’est dans l’espace offert par ce presque que réside l’essentiel. C’est dans ce presque que se logent la lumière et les mots, ceux de l’auteur, portés par la voix du traducteur…

Eric BOURY




[1] « Quand tue-t-on un homme et quand ne le tue-t-on pas ? Ou bien, « Il y a tuer un homme et tuer un homme ». On trouve cette phrase dans la Cloche d’Islande, Halldor Laxness, traduite par Régis Boyer.
[2] Publié chez Gallimard, traduit par Eric Boury.
[3] Le hákarl est du requin faisandé, pour ainsi dire pourri et le brennivín, une eau-de-vie islandaise : l’un comme l’autre ont un goût précis qu’on apprécie ou non. 

lundi 8 novembre 2010

Liste de traductions

Plusieurs personnes m'ont suggéré de publier sur mon blog la liste des traductions que j'ai effectuées. Voici : 

1. Hallgrímur Helgason, 101 Reykjavik, (101 Reykjavík, Actes Sud, 2002 )
2. Kristín Ómarsdóttir, T’es pas la seule à être morte (Elskan mín ég dey, Le Cavalier Bleu, 2003)
3. Arnaldur Indriðason, La cité des jarres, (Mýrin, Editions Métailié, 2005)
4. Arnaldur Indriðason, La femme en vert, (Grafarþögn, Editions Métailié, 2006)
5. Sjón, Le moindre des mondes, ( Skugga-Baldur, Editions Rivages, 2007)
6. Arnaldur Indriðason, La voix (Röddin, Editions Métailié, 2007)
7. Einar Már Guðmundsson, Les chevaliers de l'escalier rond (Riddarar hringstigans, Gaïa Editions, 2007)
8. Árni Þórarinsson,  Le temps de la sorcière (Tími nornarinnar, Editions Métailié, 2007)
9. Arnaldur Indriðason, L’homme du lac (Kleifarvatn, Editions Métailié, 2008)
10. Jón Hallur Stefánsson, Brouillages (Krosstré, Gaïa Editions, 2008)
11. Árni Þórarinsson, Le Dresseur d'insectes (Dauði trúðsins, Editions Métailié, 2008)
12. Einar Már Guðmundsson, Le testament des gouttes de pluie (Eftirmáli regndropanna, 2008)
13. Sjón, Sur la paupière de mon père (Með titrandi tár, Editions Rivages, 2008)
14. Arnaldur Indriðason, Hiver arctique (Vetrarborgin, Editions Métailié, 2009)
15. Stefán Máni, Noir Océan (Skipið, Editions Gallimard, Série Noire, 2010)
16. Jón Kalman Stefánsson, Entre ciel et terre (Himnaríki og helvíti, Editions Gallimard, Du monde entier, 2010)
17. Arnaldur Indriðason, Hypothermie (Harðskafi, Editions Métailié, 2010)
18. Árni Þórarinsson, Le septième fils (Sjöundi sonurinn, Editions Métailié, 2010)
19. Jón Hallur Stefánsson, L'incendiaire (Vargurinn, Gaïa Editions, 2010)

20. Sjón, De tes yeux tu me vis (Augu þín sáu mig, Editions Rivages, à paraître en 2011)
21. Arnaldur Indriðason, La rivière noire (Myrká, Editions Métailié, à paraître en 2011)

Quelques informations avant les Boréales...

Quelques informations avant les Boréales!

Une R E N C O N T R E   L I T T É R A I R E
a lieu le samedi 20 novembre 2010 de 14 heures à 16h30 à la mairie du 16e arrondissement

Avec les romanciers :
Steinunn Sigurdardóttir, Jón Kalman Stefánsson & Yrsa Sigurdardóttir
 
et les spécialistes de la littérature islandaise :
Régis Boyer, Torfi Tulinius, Susanne Juul & Eric Boury
 
Pour recevoir votre carton, à présenter obligatoirement à l’entrée,
réservez votre place avant le 9 novembre sur
paris@mfa.is ou par téléphone au 01 44 17 32 85


PAR AILLEURS : 
Par ailleurs

Je signale également que Jón Kalman Stefánsson, l'auteur d'Entre ciel et terre, publié chez Gallimard, sera à l'auditorium du musée des beaux-arts de Caen pour une table-ronde en compagnie d'une autre Islandaise, Auður Ava Jónsdóttir, l'auteur de Rosa Candida, publié chez Zulma. J'assurerai la traduction des propos de Jón Kalman et Auður Ava parle parfaitement français... Ce débat a lieu le dimanche 21 novembre à 11 heures du matin. Puis, après 15 heures 30, il y aura également une séance de dédicaces...

ENFIN, un peu de lecture sur le site de la revue STROKKUR que j'affectionne beaucoup, et dont le dernier numéro vient d'être mis en ligne :    Strokkur Numéro 21 



vendredi 15 octobre 2010

Rosa candida

Audur Ava Ólafsdóttir
Rosa candida
Roman traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
PRIX PAGE DES LIBRAIRES 2010 — SÉLECTION EUROPÉENNE





Une amie... C'est une amie chère et de longue date qui a traduit ce livre, une amie qui traduit depuis bien plus longtemps que moi et dont j'admire la limpidité du style. Cela me fait plaisir de voir que Rosa Candida remporte un franc succès. L'auteur, la traductrice et l'éditrice le méritent largement.

lundi 11 octobre 2010

Critique du Septième Fils d'Arni Thorarinsson dans Télérama

Sous la plume de Martine Laval :

Le Septième Fils, Arni Thorarinsson, Polar, Editions Métailié.


L'Islande était, il y a encore peu, un pays inconnu, sinon oublié. Depuis les sept romans traduits en France d'Arnaldur Indridason (éd. Métailié), ­depuis une crise financière ­insensée (2009), depuis qu'un volcan (au nom imprononçable...) a semé la panique sur la planète entière en mai dernier, l'Islande désormais fait (presque) partie de l'Europe. L'Islande s'éveille, donc, mais avec une gueule de bois, ce qui préoccupe les auteurs de romans noirs. Le troisième roman du journaliste Arni Thorarinsson jette l'ancre dans les fjords de l'ouest et remet en selle Einar, reporter désoeuvré et détective malgré lui, rencontré déjà dans Le Temps de la sorcière et Le Dresseur d'insectes. Einar, poussé par un rédacteur en chef peu scrupuleux, traque le scoop dans une cité endormie, Isafjördur. Il s'y ennuie ferme, assiste au désastre de la presse (chute des ventes et chute de la liberté d'écrire), se coltine des politiciens véreux, des gamins paumés, des stars pas encore révélées, des immigrés apeurés. Dans une atmosphère entre chien et loup, il affronte le froid... et quelques désastres qui l'obligent à se ­réveiller : incendies criminels, tombes profanées, trafic de drogue...

Radicalement moins sombre que le terrible Noir Océan de Stefan Mani (éd. Gallimard, coll. Série Noire, 2010), ce Septième Fils joue la carte de l'humour tendre. Einar, qui a aussi quelques soucis de coeur, s'agite dans une Islande inconnue des tour-opérateurs. L'île abrite des failles volcaniques. Désormais, elle se craquelle, et de fractures politiques en failles sociales, elle perd le nord. Arni Thorarinsson écrit son pays, une nation perdue dans la mondialisation, mais où tous les espoirs sont permis !

Martine Laval

Telerama n° 3169 - 09 octobre 2010

jeudi 7 octobre 2010

L'incendiaire, Jón Hallur Stefánsson

Ces jours-ci... Aux éditions Gaïa, la suite de Brouillages, paru il y a deux ans.
J'en profite pour signaler la réédition de Brouillages, en version poche, dans la collection Babel Noir d'Actes Sud.


lundi 13 septembre 2010

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson

Je signale la parution d'une critique du roman dans L'Express :

http://www.lexpress.fr/culture/livre/entre-ciel-et-terre_907452.html

Stefánsson à cheval Entre ciel et terre
Par Baptiste Liger, publié le 22/07/2010 à 07:00

Un pêcheur meurt d'avoir été hanté par la poésie. Un grand roman mystique islandais.
Il n'y a guère qu'une lettre de différence entre les "morts" et les "mots". On ne sait pas ce qu'il en est en islandais : toujours est-il que Jón Kalman Stefánsson a cherché, avec Entre ciel et terre, à explorer les rapports entre la littérature et l'au-delà. Ainsi, ce livre a coûté la vie à Bárour, au moins indirectement.

Hanté par les vers du Paradis perdu du Britannique John Milton, ce pêcheur d'Islande -rien à voir avec celui de Pierre Loti - n'a pas pris garde à enfiler sa satanée vareuse, lors d'une sortie en mer. "Voilà le genre de tours que peut nous jouer la poésie. [...] Les mots n'offrent qu'un abri bien frêle face au vent venu du pôle qui transperce tout et s'immisce dans la chair." Le froid intense du grand large aura raison de lui, et ses compagnons de pêche ramèneront son cadavre à terre. Parmi ceux-ci, le "gamin" se révèle particulièrement bouleversé par cette disparition. Il s'impose alors comme devoir moral, hommage à son ami Bárour, de rendre le livre à son propriétaire, Kolbeinn, un vieillard aveugle "aussi féroce qu'un loup atlantique" sorti d'Homère.

On pourrait évidemment saluer la magnifique évocation de l'Islande du XIXe siècle et l'admirable portrait du milieu des pêcheurs. Mais outre cet aspect "naturaliste", Entre ciel et terre est une grande odyssée mystique, où les voix des morts s'entremêlent à celles des vivants. Dans une langue d'une splendeur absolue (remarquablement retranscrite par la traduction d'Eric Boury), Jón Kalman Stefánsson médite sur la postérité et le sens de la vie, comme dans cet aphorisme aux airs de condensé de son admirable roman : "Nos paroles sont des brigades de sauveteurs désemparées, équipées de cartes de géographie inutilisables et du chant des oiseaux en guise de boussole."


Je signale également la lecture du début de ce texte (Gallimard, Du monde entier, 2010) par Martine Laval, critique littéraire à Télérama :

http://www.telerama.fr/livre/lectures-buissonnieres-version-voix-off-entre-ciel-et-terre-de-jon-kalman-stefansson,55458.php

A écouter...

Le septième fils, Árni Thórarinsson

A paraître ces jours-ci aux éditions Métailié.


Arni vient quelques jours en France...

Mercredi 29 septembre : journée d’études nordiques à la BNF (Paris) en présence de son traducteur Eric Boury. L'intitulé de la journée est "A glacer le sang - autour du polar scandinave".
Toutes les informations se trouvent ici : http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/calendrier_manifestations/f.polar_scandinave.html?seance=1223904060520

Jeudi 30 septembre, 18h : rencontre à la librairie Ombres Blanches (50 rue Gambetta, 31000 Toulouse)








dimanche 30 mai 2010

Cette photo a été prise à Paris par Karl-Ludwig Wetzig, mon collègue allemand, traducteur d'islandais qui a, lui aussi, traduit Jón Kalman Stefánsson...
J'apprécie beaucoup la composition de ce cliché, les lignes obliques que forment la lumière et l'ombre, les contrastes, les mots illuminés par le soleil et ceux qui sont plongés dans l'ombre : cette image nous en apprend bien plus de la vie qu'il n'y paraît à première vue, elle nous en apprend sur les mots et sur le silence. Jón Kalman dit cela en ces termes : "Nous sommes ce que nous disons, mais aussi ce que nous taisons."



mardi 11 mai 2010

Critique de Juan Asensio sur Entre ciel et terre

Ci-dessous, une très belle et riche critique d'Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson publiée sur son site qui est, par ailleurs, une mine d'informations pour littéraires de tout poil.
Merci à lui pour ce texte :

http://stalker.hautetfort.com/archive/2010/04/20/entre-ciel-et-terre-de-jon-kalman-stefansson.html

samedi 1 mai 2010


INDRE-SOURCE

Week-end du Premier Mai. Pendant la Révolution française, mon village a été rebaptisé Indre-Source. Il a depuis repris son nom, mais il y a toujours la rivière qui coule inlassablement, et chuchotte entre les pierres. Par endroits, elle est plus calme, elle gagne en profondeur, les remous sont à peine visibles sous la surface.

Jacques Tati a tourné un film en 1947. Un musée commémore aujourd'hui ce qui fut l'événement le plus marquant de l'histoire des habitants. La Maison de Jour de Fête est un lieu à voir : http://www.maisondejourdefete.com/

Plus personnellement, il y a dans ce village les maisons de mon enfance, celle-là est de loin ma préférée, biscornue à souhait. En passant devant, je me suis aperçu que toutes les cloisons avaient été abattues, le plancher du rez-de-chaussée supprimé, mais la devanture est, pour l'instant, intacte. La cave où j'allais enfant chercher les pommes de terre pour ma grand-mère apparaît désormais à la pleine lumière : il n'y a plus aucune raison de craindre les ténèbres dans lesquelles elle était plongée, elles ne sont plus qu'un souvenir...

Bachelard affirmait qu'il fallait une cave pour avoir peur et un grenier pour rêver. Cette maison-là était à l'image de cette réflexion : la cave était noire à souhait, il n'y avait là que des pommes de terre, du charbon et un sol en terre battue. Le grenier était chaud et poussiéreux, un peu étouffant, peut-être, j'en perçois encore l'odeur et je me souviens de cette lumière douce qui entrait par la lucarne. Mon père y avait entassé ses jouets et j'y montais souvent en catimini pour regarder ces merveilles sans y toucher, sans les abîmer.

Voilà, j'ai appris que cette maison serait prochainement transformée en agence immobilière. J'ai une nouvelle raison de n'aimer que peu... les agences immobilières...




"(...) papa went to other lands
and found someone who understands
the ticking and the western man's need to cry
he came back the other day you know
some things in life may change
and some things they stay the same
like time
there's always time
on my mind
so pass me by
i'll be fine " Damien RICE, Older Chests.

dimanche 25 avril 2010

Article de Martine LAVAL sur Entre Ciel et Terre




Après une absence longue de deux semaines, loin des perturbations d'Internet pour cause de traduction intensive, on peut avoir bien des surprises, bonnes et moins bonnes. En voici une très bonne. Martine Laval a écrit sur Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson, le magnifique article que voilà, où elle a saisi toute la beauté de ce livre... Elle lui attribue quatre étoiles, le maximum prévu par Télérama.

Entre ciel et terre Jón Kalman Stefánsson, Roman.


Entre ciel et terre, il y a la mer, celle d'Islande, versatile, calme dans ses profondeurs, tourmen­tée à sa surface où elle nargue une lumière aux couleurs froides. Il y a le temps, immuable comme les étoiles, ces lointaines étrangères, parfois boussoles, parfois ennemies. Ici, en ces confins, le jour s'écoule, le soir se pose, le silence enve­loppe toute chose, toute âme. Le vent colporte bien quelques paroles, mais elles sont vite emportées par l'oubli. Entre ciel et terre, il y a des mots, ceux de Jón Kalman Stefánsson, écrivain islandais pour la première fois traduit en français avec une grâce inouïe par Eric Boury. Ces mots-là sont « des brigades de sauveteurs » qui jamais ne renoncent à leur quête, arracher au vide - enfer ou paradis - des vies noyées dans l'indifférence.

Une histoire de pêcheurs à la morue, de marins perdus dans l'âpreté des jours et des nuits, de gamin blessé à jamais, de son camarade trop épris de poésie, de gelures et de solitude, de trahison et de rédemption, de capitaine aveugle épris de littérature qui navigue sur des « cartes de géographies obsolètes », rien que de pauvres livres rescapés dont la prose défie les abysses. L'un d'eux est signé Milton, poète anglais, aveugle lui aussi. Il s'intitule Paradis perdu.

Entre ciel et terre - le roman - est un requiem à la force tellurique. Il enfle et se déchire comme un long poème venu des ténèbres, parle de souffrances et de croyances, de mal de vivre et d'infortune, d'amitié déchirée et de destinée malmenée. Récit initiatique, quête métaphysique, explosion des sens ? Il y a dans cette écriture au long souffle, à la tendresse palpable, quelque chose de miraculeux qui serait magie des images, magie des mots, « de ceux dont on peut se passer pour survivre, mais pas pour vivre ». Jón Kalman Stefánsson fait se découvrir l'impalpable, lui insuffle fureurs et mélancolies et convie le lecteur, non sans dérision, à sombrer avec elles : « C'est dans nos propres souvenirs que nous plongeons, c'est là que se trouve le fil qui nous relie à l'existence. Des souvenirs de ces jours où nous étions on ne peut plus vivants, ces jours où il neigeait, où il pleuvait sur nos vies, ces moments brûlants de soleil, sombres de nuit... »

Histoire d'un autre temps, d'un autre monde, Entre ciel et terre explore la lisière entre songes et réalités, conscience et innocence, trace une route vertigineuse à travers le fracas de l'humanité et nous invite à cheminer avec un gamin porteur d'espérance, messager malgré lui d'une poésie intemporelle. Celle nichée dans un livre meurtrier... « Il veut atteindre l'essentiel, quel qu'il soit, il voudrait découvrir si l'essentiel existe, mais il est parfois difficile de réfléchir et de lire quand on est tout vermoulu après une journée épuisante à ramer. Ses pensées peuvent être tellement lourdes qu'il parvient à peine à les soulever, alors, il est à des lieues de l'essentiel. » On lui souffle deux mots. Loyauté. Amitié.

Martine Laval Telerama n° 3144 - 17 avril 2010
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jeudi 25 février 2010

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson : critique...

Ah, on me signale une jolie critique d'Entre ciel et terre sur le site : A saut et à gambades (en deuxième position après le billet sur L'énigme du retour de Dany Laferrière). Merci à la personne qui l'a écrite.

http://asautsetagambades.hautetfort.com/

mercredi 24 février 2010

Article de Martine Laval sur Hypothermie dans Télérama

http://www.telerama.fr/livres/hypothermie,52910.php

Roman noir

La facilité serait de croire que l'on sait tout de l'Islande, ses mystères, ses horreurs, tout sur Erlendur, flic et personnage récurrent d'Arnaldur ­Indridason. Naïvement, on pense entrer un peu comme chez soi, en terrain connu, dans ce sixième roman du chef de file du polar islandais. Erreur. On est vite happé par une sourde mélancolie, une poisse tracée à l'encre gelée, de celle qui ravive des meurtrissures enfouies depuis trop longtemps. Plus sage que La Cité des jarres (2005), moins bouleversant que La Femme en vert (2006), mais tout aussi impérieux, Hypothermie met en scène un Erlendur presque nouveau, plus fragile que jamais. Ereinté par les mauvais souvenirs (il porte son enfance et la disparition de son jeune frère comme un fardeau), accablé par ses échecs personnels (mauvais mari, piètre père), Erlendur voudrait se reposer - oublier -, il en est incapable. Une fois de plus, il va affronter de vieux démons, chercher une vérité qui se dérobe, découvrir ce que l'Is­lande porte en elle depuis la nuit des temps et qui l'empêche, lui, de dormir : des histoires de naufrages, d'hommes disparus dans des gouffres blancs, d'âmes tourmentées, d'esprits maléfiques, de fantômes réclamant justice.

Notre bon flic, seul contre tous, se met à enquêter sur la mort d'une femme retrouvée pendue. Les conclusions de ses confrères se résument en un mot : suicide. Lui ne peut s'en contenter. Arnaldur ­Indridason écrit le chaud et le froid, les amours déchues, les errances métaphysiques, la culpabilité, l'impossible deuil, et donne encore et toujours le frisson avec Hypothermie, roman des ténèbres.

Martine Laval Telerama n° 3137 - 27 février 2010

dimanche 21 février 2010

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson

Un très bel article paru dans Livres-Hebdo, à propos d'Entre ciel et terre. Cela fait plaisir de voir un livre qu'on aime être aimé par ceux qui le lisent...


lundi 15 février 2010

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson : Une lecture essentielle, une merveille de poésie et de vérité, un texte fulgurant.



ENTRE CIEL ET TERRE
Jón Kalman Stefánsson
A paraître chez Gallimard – Du monde entier – le 18 février.


Le livre s’ouvre sur un alexandrin esseulé au centre de la page blanche : « Nous sommes presque uniquement constitués de ténèbres ».

Ces mots nous plongent d’emblée dans un monde méditatif, celui, nocturne, du rêve, du cauchemar peut-être, tout en nous renvoyant à ce que nous abritons de gouffres, de passions, de secrets, de terreurs, de tristesses, lesquels ne sauraient supporter la pleine lumière. Justement, il y a aussi dans cette phrase la lumière, qui brille par son absence, mais qui éclaire tout de même faiblement. Derrière ce qui n’est pas dit, dans l’espace ménagé par ce « presque uniquement » vient se lover, en creux, ce qui ne participe pas de notre ombre : la poésie, l’écriture, le soleil, la chaleur, l’amour ou l’amitié et aussi, tout ce qui est fragile, infime et éphémère, mais subtil et essentiel, simplement parce que nous sommes et qu’un jour, ceux qui nous survivront pourront dire de nous « ils furent » ou bien « je me souviens de lui, je me souviens d’elle ».

Jón Kalman Stefánsson laisse aux défunts le soin de nous conter ce récit. „C‘était en ces années où, probablement, nous étions encore vivants“. Ici, les morts prennent la plume pour nous parler d’autres défunts dont le sort fut tragique et dont ils se souviennent. Ceux qui n’étaient plus que des noms sur des tombes reviennent alors à la lumière, les moments engloutis remontent à la surface et, par la magie du verbe, deviennent éternité : ils se prolongent par-delà la mort et l’oubli en une longue anamnèse. Puisque les écrits restent, il est urgent de consigner les événements, de décrire ceux qui vécurent, de rappeler ce qui advint, de partir à la recherche du temps perdu, de se mettre en route pour arracher à l’oubli les existences de ces hommes :

« Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d’abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l’abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort.
Les mots sont cependant tout ce que le gamin possède. A part les lettres de sa mère, un pantalon de grosse toile, ses vêtements de laine, trois livres peu épais ou plutôt des fascicules qu’il a emportés avec lui en quittant le baraquement, des bottes de mer et de mauvaises chaussures. Les mots sont ses compagnons les plus dévoués et ses amis les plus fidèles, ils se révèlent pourtant inutiles au moment où il en aurait le plus besoin. »

Jón Kalman nous livre une lancinante, une poignante élégie où chaque mot est à sa place, un texte qu’il faut lire avec la lenteur et le recueillement nécessaires. Une œuvre hautement littéraire qui s’interroge sur le pouvoir – parfois dérisoire – du langage et nous interpelle sur le sens de la vie tout en nous rappelant l’inéluctabilité de la mort ainsi que l’absolue nécessité des rêves et de l’espoir. Qu’y a-t-il entre ciel et terre ?

Il y a un absolu dérisoire. Il y a nous, quelque part entre le paradis et l’enfer, comme le suggère le titre original de l’œuvre, Himnaríki og helvíti, quelque part au centre de l’éternité. A chaque moment, nous sommes au centre de l’éternité. Il y a nous, ici et maintenant, toujours et partout : notre vie, nos souffrances, nos joies, nos rêves, nos espoirs et notre irréductible solitude. Et il y a ce combat si parfaitement décrit par la marche – certes, pas uniquement métaphorique – exposée au début du livre, qu’il vaut mieux laisser la parole à l’auteur :

„Ils avancent à vive allure – juvéniles jambes, feu qui flambe – livrant également contre les ténèbres une course tout à fait bienvenue puisque l’existence humaine se résume à une course contre la noirceur du monde, les traîtrises, la cruauté, la lâcheté, une course qui paraît si souvent tellement désespérée, mais que nous livrons tout de même tant que l’espoir subsiste. C’est pourtant d’une simple marche que Bárður et le gamin ont l’intention de se délester des ténèbres ou de l’obscurité du ciel pour arriver avant elles aux baraquements des pêcheurs. Parfois, ils marchent de front et c’est beaucoup mieux parce que des traces de pas posées les unes à côté des autres sont preuve de connivence et qu’alors, la vie n’est pas aussi solitaire.“


Oui, le combat est perdu d’avance, mais nous sommes ces juvéniles jambes, ce feu qui flambe jusqu’à notre dernier souffle et nous tentons d’en oublier l’issue inéluctable par cette marche, cette course, cette fuite avec parfois, quelqu’un à nos côtés, une personne qui nous accompagne, une main amie, véritablement amie, qui nous rassure alors que nous sommes plongés dans le noir et le froid, une personne que nous rassurons de même. « Nous devons prendre soin de ceux qui nous sont chers et à qui nous le sommes ».

Et quelles sont ces deux silhouettes qui marchent ainsi vers les baraquements des pêcheurs au début du livre ? Ce sont simplement un gamin et Bárður, le premier demeurera anonyme jusqu’au terme de l’œuvre. Il n’a plus rien, ni père, ni mère, ni petite sœur, il ne lui reste qu’un frère qui vit, si loin, de l’autre côté de la montagne : c’est un anonyme, vous, moi peut-être ? Heureusement, il a Bárður, son seul ami, presque un père. Bárður est marié, sa femme, Sigríður est restée à la ferme et elle lui manque terriblement sans que, jamais il ne le dise autrement que par des chemins détournés, ceux de la poésie. Intoxiqué de lecture, il lit de tout – surtout de la poésie, d’ailleurs – et transmet cet amour de la langue au gamin avec passion et patience, par-là, il lui apprend simplement à aimer, à espérer. Mais voilà, Bárður lit trop et, un matin, alors qu’il se plonge encore une fois dans un extrait du Paradis perdu, il oublie sa vareuse de peau au baraquement des pêcheurs avant de sortir en mer sur une barque non pontée avec le gamin et les autres membres de l’équipage. C’est le matin :

« Douce est la brise matinale, douce l’arrivée du jour, la suivent les notes mélodieuses, des oiseaux tôt levés, qui l’oreille enchantent. Nulle chose ne m’est plaisir en dehors de toi. »

Qui a écrit cela ? Milton. Qui le lit ? Qui le dit ? Bárður, pas en anglais ni en français, mais en islandais, dans la traduction de Jón Þorláksson, laquelle est d’une telle qualité que les Islandais affirment que, parfois, elle dépasse l’original et que, peut-être, son style a influencé l’immense Jónas Hallgrímsson, le poète romantique. Notons que ces phrases sont parfaitement intégrées à la prose de Jón Kalman, aucun signe de ponctuation ne nous indique à ce moment-là que nous sommes chez Milton. Est-ce une façon de dire que la poésie peut surgir à tout instant, nous surprendre et nous inonder l’âme en tout lieu ? Sans doute. Mais nous sommes aussi ici dans la thématique de la transmission, de la filiation, du lien, de l’héritage, autant génétique que littéraire. Qu’est-ce que la littérature ? Des mots qui créent un lien. Religare, religion.

Si une œuvre littéraire est capable de changer notre vie, de modifier notre vision du monde, de nous faire rêver, espérer, réfléchir, rire ou pleurer, c’est qu’elle est de qualité. Entre ciel et terre appartient indubitablement à la grande littérature, à celle qui nous tend cette main amie et nous aide à vivre en nous indiquant dans quelle direction chercher la lumière et comment nous délester des ténèbres. Jón Kalman Stefánsson nous raconte une histoire sublime et limpide : il nous dépeint la vie d’un village des Fjords de l’Ouest. Cela se passe en Islande, au dix-neuvième siècle, c’est triste, c’est drôle, c’est beau. Son texte est sensible, riche, miroitant et profond comme la mer ; il touche le cœur autant que l’intellect. Certes, nous pleurons à la lecture de certains passages, mais ces larmes sont une grâce – et en basse, l’auteur nous murmure des mots qui consolent, il nous confie des fragments de lumière, à nous tous qui, un jour, serons presque uniquement constitués de ténèbres. Tandis que nous avançons vers la nuit, il nous accompagne, nous ramène à l’essentiel : son souffle nous porte ; il nous exhorte à vivre – avec ivresse.

Eric Boury

samedi 13 février 2010

vendredi 12 février 2010

Interview d'Arnaldur Indriðason par William Irigoyen

Les liens qui suivent vous mèneront vers le blog de William Irigoyen, le présentateur d'Arte Journal - 19 h - que j'ai eu le plaisir de rencontrer ce week-end à Paris où il a interviewé Arnaldur. On trouve sur son blog le résumé des livres jusqu'ici publiés en français ainsi que l'interview en audio, vers le bas de la page.


http://blogs.arte.tv/Le_poing_et_la_plume/frontUser.do?method=getHomePage




Et aussi :
Un article paru dans Libération (11.02.2010) sous la plume de Sabrina Champenois qui nous parle d'Hypothermie d'Arnaldur. Dans le classement paru dans l'édition du même jour, le livre figure en tête des ventes. Not bad, Mr. Indriðason.

http://www.liberation.fr/livres/0101618579-corps-volatils

mercredi 10 février 2010

mardi 9 février 2010

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson


"Nous sommes presque uniquement constitués de ténèbres."

Ainsi commence le livre dont je vous dirai prochainement quelques mots (un certain nombre de mots, car il le mérite). C'est un texte lumineux, poignant et riche qui nous parle de la vie, de la mort, de l'importance des mots, des rêves, de l'espoir et de la mémoire. Il paraîtra chez Gallimard - Du monde entier - le 18 février. C'est le premier roman de Jón Kalman Stefánsson à être traduit en français.
C'est à lire - absolument...

Le combat d'Arnaldur Indriðason, Blog de Philippe Lemaire

Merci à Philippe Lemaire, journaliste au Parisien pour le petit texte qu'il publie sur son blog. Nous nous sommes rencontrés vendredi à Paris avec Arnaldur et il nous offre un compte-rendu de ce moment. Agréable.

http://blog.leparisien.fr/planete_polars/2010/02/le-combat-darnaldur-indridason.html#more

Cercle Polar : Hypothermie d'Arnaldur Indriðason et Noir Océan de Stefán Máni

Un très bel article de Martine Laval qui nous parle de Noir Océan de Stefán Máni auquel elle attribue trois étoiles dans le Télérama de la semaine dernière :

http://www.telerama.fr/livres/noir-ocean,52117.php

Et puis, voici la présentation de Cercle Polar, une émission radio de Télérama qui traite cette semaine de trois polars nordiques, à écouter...

"Cette semaine, plongée dans des climats troublants : “L’Echo des morts”, second roman de Johan Theorin et son ambiance fantastique ; le huis clos en mer “Noir Océan”, de Stefan Mani ; et “Hypothermie”, d’Arnaldur Indridason, chouchou de “Cercle polar”, sont passés au crible de l’analyse critique de Michel Abescat et de ses chroniqueuses, soit Martine Laval et Christine Ferniot. Brr, ça fait froid dans le dos… "

http://www.telerama.fr/livre/cercle-polar-38-le-roman-policier-scandinave,52067.php#cmtavis

lundi 1 février 2010

Deux livres

Comment faire quand on a traduit deux livres - très différents l'un de l'autre - qui sortent en librairie le même jour?
Hmm, comme on peut. Par exemple, on expose sur son blog les couvertures car si on a traduit les deux, c'est qu'on aime l'un comme l'autre pour des raisons différentes...
Les deux seront en librairie le 5 février.


Arnaldur is back!

Eh oui, Arnaldur revient pour la sixième fois : La cité des jarres, La femme en vert, La voix, L'homme du lac, Hiver Arctique... Voici : Hypothermie. C'est toujours aussi bien, toujours aussi triste, aussi touchant. Erlendur poursuit sa quête et traîne ses démons, avec patience, avec détermination, non, entêtement : sa recherche de la vérité ne lui laisse jamais de répit.

Arnaldur, quant à lui, continue sa réfléxion sur le temps, celui qui se fige au moment où s'emballent les événements qui annihilent ou enferment les victimes dans leur propre enfer, celui qui engloutit ces moments qu'on croit être le bonheur, celui qui est, à jamais, perdu. C'est une oeuvre funèbre, une méditation sur le temps, la mort et le sens de la vie.



vendredi 29 janvier 2010

Stefán Máni, NOIR OCÉAN





Stefán Máni, Noir Océan (Skipið)

Le quatre février prochain paraîtra dans la Série Noire chez Gallimard le premier livre traduit en français d'un auteur islandais né en 1970 à Reykjavik.

"Noir Océan" de Stefán Máni est une incursion vertigineuse dans un univers noir et brutal... L'intrigue se déroule presque entièrement sur un cargo, le Per Se dont le lecteur se demande de plus en plus au fil des pages s'il ne navigue pas simplement pour lui-même, comme l'indique son nom, animé qu'il serait d'une vie propre.
Les hommes qui se trouvent à son bord ne sont pas des enfants de choeur et, sachant qu'au fond de l'océan, qu'il soit déchaîné ou calme : "Ce qui sommeille pour l'éternité n'est pas mort", il n'y a pas de quoi être rassuré. Surtout quand on lit, dès le début du texte que "le mal est éternel et toutes les bonnes choses ont une fin".

Voici un extrait qui a retenu mon attention, son caractère autotélique (la représentation qu'il offre de l'oeuvre à l'intérieur de l'oeuvre) m'a séduit et il donne un bon aperçu de ce à quoi s'attendre :

"Voyager inconscient est une expérience très étrange. On oscille d’avant en arrière comme sur une balançoire, les mouvements sont simplement plus lents ; on ressent également de désagréables secousses latérales avec, toujours, cette drôle d’impression que le chemin qui mène vers le bas est plus long, plus creusé que celui qui conduit vers le haut, comme si le corps impuissant tombait depuis un point situé à une limite extrême et qu’on montrait la scène au ralenti sur un écran de télévision, encore et encore, inlassablement. Il y a là-dedans quelque chose qui apaise, qui, pour ainsi dire, hypnotise, mais il s’agit surtout d’une infinie sensation d’engourdissement qui semble davantage irréelle au fur et à mesure qu’on tournoie plus longuement au sein de ce vide moite à l’odeur de sang tiède, ce vide aussi vaste ou aussi réduit que l’esprit, aussi profond que l’écho nonchalant du tambour provoqué par ce coup reçu sur la tête :

Boum, boum, boum…

Les entrailles de la voiture sont noires. Vêtu d’un uniforme de marin blanc et bleu clair, Jón Karl est attaché à la civière. Le médecin qui veille sur lui est un homme-pieuvre avec un masque d’Albert Einstein sur le visage.
Si je vous dis : cela commence plutôt bien, ensuite, ça avance tranquillement, puis ça décolle nettement vers le milieu, mais personne ne comprend le dénouement. De quoi est-ce que je vous parle ?
Est-ce que c’est un film ?
Oui, mais je ne vous parle pas d’un film.
Serait-ce un livre ?
Oui, mais ce n’est pas d’un livre que je vous parle.
S’agit-il de cette traversée en mer ?
Oui, mais ce dont je vous parle est d’une ampleur et d’une importance qui dépasse celle de ce voyage.
L’ambulance roule sur une route cahoteuse, les chocs résonnent à l’intérieur de l’habitacle métallique aussi vaste que la cale d’un bateau :

Boum, boum, boum…"

J'avoue que cette traduction a relevé pour moi autant du plaisir que de l'épreuve : les termes de marine, de mécanique, d'économie, la hiérarchie à bord, les descriptions de salles des machines m'ont parfois donné bien du fil à retordre.

Martine Laval, critique littéraire à Télérama, en parle en termes élogieux sur ses LECTURES BUISSONNIERES.

http://www.telerama.fr/livre/la-nuit-je-lis-noir-ocean,51777.php

mercredi 20 janvier 2010

Le testament des gouttes de pluie, Revue Strokkur



Une belle surprise trouvée ces jours-ci sur la revue Strokkur : l'auteur de l'article propose une belle lecture poétique, à mon avis tout à fait bien vue, du Testament des gouttes de pluie, d'Einar Már Guðmundsson, publié chez Gaïa en octobre 2008.

"On pénètre dans l’univers des «gouttes de pluie» comme on traverse le miroir d’Alice. Il faut laisser derrière soi les oripeaux du réel et sa maussade linéarité pour un monde synesthésique où les arts se répondent : musique, peinture, littérature s’allient pour éviter le figement des (du) sens.

D’abord, on entre dans le livre comme on attend le commencement, l’éclatement pour ainsi dire, d’un opéra ; à l’ouverture du livre, le «sommaire», un programme musical : divisé en trois parties, comme en trois actes : «Le bateau dans la tempête», «Éclats de rire et battements de coeur» et «Le testament des gouttes de pluie», final qui donne son titre au roman. Puis trois niveaux de subdivision, jusqu’au détail de chacune des scènes ; les titres de celles-ci sont parfois très longs, souvent surprenants, construits selon un principe de concomitance incongrue qui n’est pas sans rappeler les collages surréalistes : «À propos de bibine provenant d’un magasin de tabac et d’alcool dirigé par l’État, de tambouille à vomir et de vins légers pour l’édification des poules mouillées» ou encore, plus courts mais non moins étonnants : «Caramels et églises», «Les têtes à l’intérieur des chapeaux», «Les bougies dans la boîte à chaussures». C’est que le narrateur, d’emblée, s’amuse, ainsi que le montrent de nombreux indices, dont le moindre serait l’usage récurrent de la formule «À propos de» au commencement des titres, clin d’oeil aux romans de Cervantès, Sterne et Diderot : omniscience du point de vue, jeu avec le lecteur, manipulation des personnages montrent la toute-puissance de l’instance narrative, qui se divertit aux rapprochements insolites. Deus ex machina, le narrateur donne la pleine mesure de sa puissance ; conduisant le lecteur de sa propre posture surplombante—le ciel d’orage au-dessus de «la ville obscure blottie dans le soir»—jusqu’à une «petite maison peinte en blanc» dans laquelle, avec lui, on s’attardera plus tard, et où sommeille Sigridur, femme de Daniel, le pasteur du quartier, le démiurge se fait peintre et esquisse le trait d’une ville à peine plus grosse qu’une «minuscule goutte d’eau», qu’il transformera ensuite à sa guise.

Dès le «sommaire», au «seuil» du texte, le roman se présente à la marge, sans décevoir l’effet d’attente du titre : les gouttes de pluie, personnifiées par le lien sémantique avec le «testament», occuperont bien un rôle central : thème principal, décliné, tout au long du roman, en de très nombreuses variations, les gouttes ponctuent le récit auquel elles confèrent, comme des battements de coeur, un rythme intérieur. L’orage symphonique de la première page donne le ton de cette longue métaphore : à l’origine de l’ébranlement de l’être, il donne lieu aussi à une déstructuration du récit : «Certains sentent leurs crâne vibrer», «on entend des craquements dans la croûte terrestre de l’esprit», «Quelque part, des failles se lovent autour d’âmes fragiles». Le réel, en vacillant, légitime alors tous les rapprochements, toutes les présences. Le narrateur convoque les êtres de légende, à l’origine probable du tremblement de terre (celui de l’être les soirs d’orage), parallèle aux secousses du ciel : des «nains» et des «elfes furibonds», les «antiques dragons et esprits tutélaires du pays» «virevoltent dans les entrailles de la terre» et «chaque chose tremblote pendant que le voûte céleste s’enflamme». Le récit semble basculer dans l’univers merveilleux du conte ; n’est-ce pas par ce genre de soirée que se manifeste «l’être vêtu de vert, le spectre de l’homme à la moustache constamment couverte de glaçons» ? Non content de mettre lui-même en cause la crédibilité d’un roman aussi composite, le narrateur se livre au pur plaisir de la narration. Dans un quartier de Reykjavik en effet, «à l’intérieur de l’atelier du vieux sellier» se sont rassemblés des personnages qui espèrent boire de l’alcool «afin d’engendrer des histoires». Quel plus bel hommage à la littérature que cette référence à L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, où chaque personnage semble n’être là que pour raconter une histoire. Mais l’apparent retour à une forme de réalisme n’est qu’illusoire ; le sellier lui-même est un être de légende : «il ne serait pas hors de propos de considérer qu’il ait atteint l’âge de trois cents, quatre cents ans voire qu’il ait compté parmi les premiers à s’être établis en Islande au IXe siècle.» Un personnage de roman donc, «qui sauta d’entre les lettres d’un livre, sortit de son histoire et se retrouva dans le monde», ou bien de théâtre ? Dans l’atelier, décor un peu fouillis où l’on peut voir «toutes sortes d’objets décoratifs qui mélangent les époques»—le «squelette poli d’une baleine qui brille et lance des étincelles», des «têtes de renards empaillés», des «peaux de bêtes venues de pays étrangers», des «boucliers», des «poignées d’épées décorées» — se retrouvent en effet, outre Gunnar, «le dernier paysan en activité dans le quartier», suivi de son chien noir, «les quatorze pêcheurs» réunis ainsi qu’un «choeur d’hommes». Nous voilà, l’espace d’un temps indéfinissable, transportés dans l’univers de la tragédie antique.

Monde illusoire que celui des gouttes de pluie, éphémères, tôt disparues ; monde d’illusion, tant elles transforment, l’espace d’un instant, ce (ceux) qu’elles atteignent. Il faut pénétrer dans l’univers des gouttes de pluie, écouter ce qu’elles racontent en tombant, les histoires, multiples, polymorphes, qu’elles laissent derrière elles ; les voir comme le temps qui martèle les existences et rappelle avec insistance que «nous flottons entre deux dimensions sur le seuil de l’univers»."



Malheureusement, le nom de l'auteur de ce bel article n'est pas précisé sur le site.

J'en profite pour signaler ici ce site de Strokkur qui est à explorer, on y trouve des analyses littéraires, des présentations, des traductions :
http://www.strokkur.org/Strokkur/hef1.html