samedi 31 janvier 2009



Au détour des pages de l'Internet, on trouve bien des choses, plus ou moins réjouissantes. Voici un article dont la lecture m'a particulièrement réjoui sous la plume de Thierry de Fages. L'article est élogieux et l'homme qui l'a écrit a saisi toutes les finesses d'une oeuvre que j'aime au plus haut point, l'un de mes romans préférés. Un immense merci à ce monsieur pour son bel article.

Je précise que trois romans d'Einar Mar Gudmundsson sont disponibles en traduction française. Le premier, Les anges de l'univers a reçu le Prix littéraire du Conseil Nordique en 1995. C'est un livre sublime, qui a été traduit, magnifiquement, par Catherine Eyjólfsson (je m'estime bien placé pour dire qu'elle a fait merveille car je sais à quel point cet auteur est difficile à rendre en français). Pour le second, Les chevaliers de l'escalier rond, il est paru chez Gaïa l'an dernier dans ma traduction et le troisième est Le Testament, thème de l'article ci-dessous. Avec les Editions Gaïa, nous envisageons de publier d'autres romans d'Einar Mar Gudmundsson (une trilogie), mais nous devrons attendre au moins un an à cause de mon programme surchargé...

LIEN vers LEMAGUE.NET : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5578

LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE…

Ecrivain islandais, né à Reykjavik en 1954, Einar Mar Gudmundsson est connu pour sa dizaine de romans et ses sept recueils de poèmes. Après « Les Chevaliers de l’escalier rond » (1985), son premier roman, paru chez Gaïa en 2007, la maison d’édition spécialisée dans les littératures nordiques vient de publier l’excellent Testament des gouttes de pluie…

L’étrange histoire du roman LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE se déroule dans la banlieue de Reykjavik. Ombres passagères, jouets des caprices de la Nature, les personnages insignifiants (?) de cette fresque au parfum de fjords et de flatkökur (1) évoluent dans un théâtre de la quotidienneté au décor plutôt pluvieux. Il y a là un coiffeur casanier, un gardien du Jardin des plantes tournant en rond, un sellier sans âge, captivant par ses contes les pêcheurs du coin lors de banquets arrosés, un pasteur tourmenté, possédé par sa mission éducative. Il y a aussi des écoliers, des oiseaux géants, des sirènes, des bateaux-fantômes…

Gudmundsson a une jolie formule pour exprimer son tempérament littéraire. Il tente d’examiner ce que « la réalité recèle de magique en même temps que la part de la réalité que la magie recèle ». Parfois, l’on songe à la lecture du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE au réalisme magique de certains auteurs d’Amérique latine. Mine de rien, l’auteur nous bluffe par une méticuleuse description d’une petite ville islandaise avec son école, son église, son salon de coiffure, son asile psychiatrique, ses pêcheurs et ses notables. L’auteur semble gentiment se moquer de tout ce beau monde en lui prêtant certains traits islandais.

Le style évocateur de Gudmundsson, par sa verve gargantuesque, nous plonge dans un climat à la fois naïf, comique et magique, lorgnant vers les rivages - en apparence paisibles - de la fable et du conte. Parfois une touche « enfantine » et une tonalité anarchiste à la Roald Dahl viennent colorer ce curieux TESTAMENT. D’autres fois, c’est un univers fantastique, jubilatoire et inquiétant qui surgit comme ici : […] « Quelqu’un voit des anges planer sur leurs ailes noir corbeau et d’immémoriaux oiseaux de mauvais augure avec des têtes de trolls viennent visiter les rêves des enfants qui sommeillent, blottis dans leurs lits et innocents dans les grands immeubles […]

La première phrase du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE crépite ainsi : « Au moment où le tonnerre et les éclairs explosent au-dessus de la ville obscure blottie dans le soir, on dirait que dans les airs retentit un concert d’innombrables instruments électriques. » Le panthéisme aux relents sensuels et mystiques de Gudmundsson se fond dans la symbolique de l’eau. Et l’on songe à « La Cloche d’Islande » (1943), célèbre roman de l’Islandais Halldor Laxness : « Il ne faut qu’à peine 10 minutes – à travers la lande qui embaume le thym sauvage et les bourgeons des bouleaux arctiques – pour arriver au sommet de la colline où on entend déjà le sourd martèlement de l’eau sur les colonnes de basalte noir. La cascade, d’une beauté incroyable, se jette avec grâce du haut d’une falaise noire […]

Dans son pénétrant roman, Gudmundsson nous suggère l’éternelle - et improbable - combinaison de l’immobilité, celle d’une petite ville pétrifiée par la routine et peuplée d’habitants solitaires et du mouvement, celui d’une nature indomptable. Mer, nuages, pluie, éclairs, tempête…Triomphe de la Nature, emportant tout. « Ils errent entre les maisons autour de la nuit ; autour de la mort, des gouttes de la pluie et de la nuit. », écrit Gudmundsson évoquant les marins.

« Au-dessus de la ville obscure et blottie dans le soir, on n’entend plus rien dans l’air, plus rien que le flic-flac des gouttes de pluie cristallines. », nous chuchote à l’oreille le romancier, fin observateur du pays des terres glacées et volcaniques. THIERRY DE FAGES

(1) épaisses galettes de farine sans levure cuites à même la plaque, on les consomme souvent avec les plats typiquement islandais comme le hangikjot, mouton fumé [note du traducteur]

LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE
Roman d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury, éditions Gaïa, collection « Catalogue général », 249 pages, 2008. Prix : 21 euros

samedi 24 janvier 2009

Hiver Arctique

MORCEAU CHOISI :
"Quand Erlendur rentra enfin chez lui, il n’alluma pas la lumière et alla directement s’asseoir dans son fauteuil, heureux de pouvoir enfin se détendre. Il regarda par la fenêtre en réfléchissant à Eva Lind et à ce rêve qu’elle voulait lui raconter.
Il vit un cheval qui se débattait dans les sables mouvants, les yeux exorbités et les naseaux dilatés à l’extrême. Il entendit le bruit de l’aspiration au moment où l’animal parvint à libérer l’une de ses pattes, avant de s’enfoncer plus profondément dans le piège qui se refermait sur lui.
Il désirait avoir l’âme en paix. Il désirait voir les étoiles cachées par les nuages afin d’y trouver la tranquillité, l’assurance qu’il existait quelque chose de plus vaste et de plus important que sa propre conscience, l’assurance de pouvoir se perdre, ne serait-ce qu’un instant, dans les immensités de l’espace et du temps.

La famille était légèrement à l’étroit dans la petite maison aujourd’hui abandonnée. Les deux frères devaient partager la même chambre. Leurs parents occupaient la seconde. Il y avait aussi une grande cuisine prolongée par une remise ainsi qu’une petite salle à manger avec de vieux meubles et des photos de famille dont certaines se trouvaient aujourd’hui accrochées aux murs de l’appartement d’Erlendur. Il se rendait toujours dans les Fjords de l’Est à quelques années d’intervalle et passait la nuit dans les ruines de ce qui avait autrefois été sa maison. De là, il montait à pied ou à cheval sur la lande où il dormait à la belle étoile. Il appréciait de voyager seul et aimait sentir peu à peu la profonde solitude l’envahir sur les lieux de son enfance, peuplés de moments enfouis dans ce passé encore si fortement imprimé en lui, des moments dont il avait, encore aujourd'hui, la nostalgie. Il savait que ce passé ne survivait qu’à travers lui. Que lorsqu’il quitterait ce monde, ce serait comme si rien de tout cela n’avait jamais existé."
Arnaldur Indridason, Hiver Arctique, à paraître le 5 février aux Editions Métailié.